Catherine Cusset, Didier Daeninckx, Muriel Barbery et quelques autres romanciers racontent comment ils ont réussi à faire éditer leur première oeuvre.
Véronique Ovaldé
L’écrivaine n’a pas choisi la route la plus droite pour être publiée. Elle commence par préparer un BTS d’édition à l’école Estienne, «parce qu’il y a le mot édition dans l’intitulé de ce diplôme», explique-t-elle. C’est sa manière très personnelle de se rapprocher d’un milieu qu’elle ne connaît pas et qui l’attire. Elle devient donc chef de fabrication. «Mais, opiniâtre, je n’ai jamais perdu de vue que je voulais publier un texte», précise-t-elle.
Tout en travaillant au service fabrication du Seuil, elle croise Louis Gardel et lui trouve «un air bienveillant». «Je l’ai donc appelé un jour pour lui dire que j’avais un petit texte.» Très vite, Louis Gardel la rappelle, lui déclarant que son roman est formidable. «Avec beaucoup d’élégance, ajoute Véronique Ovaldé, il m’a alors demandé si j’accepterais qu’il devienne mon éditeur.»
Le livre s’appelle Le sommeil des poissons, paru en 2000. Depuis, Véronique Ovaldé a publié, entre autres, Et mon cœur transparent, Ce que je sais de Vera Candida et Des vies d’oiseaux. Elle est également éditrice chez Points.
Dernier livre paru: La grâce des brigands (L’Olivier)
Muriel Barbery
Pour l’auteure de L’élégance du hérisson, tout a commencé par un concours de nouvelles. «Un concours très modeste, en Normandie», précise-t-elle. Cette première version courte d’Une gourmandise arrive en tête, et Muriel gagne le concours. «J’ai eu alors envie d’en faire un roman, sans vraiment songer à sa publication. Mon ex-mari l’a lu et m’a conseillé de l’envoyer à des éditeurs. Je l’ai fait sans illusions et d’ailleurs, j’ai reçu trois lettres de refus dont l’une était désagréable.»
Puis, quelques semaines plus tard, Jean-Marie Laclavetine, éditeur chez Gallimard, appelle Muriel Barbery. «J’ai cru à une plaisanterie, mais c’était vrai. Il avait lu mon texte envoyé par la poste. C’est un homme qui continue d’adorer découvrir. Il m’a dit qu’il défendrait ma Gourmandise en comité de lecture. Ce qu’il a fait.» Le livre fut publié en 2000.
Dernier livre paru: La vie des elfes (Gallimard)
Dan Franck
Auteur d’une trentaine de livres (La séparation, prix Renaudot, Les enfants, la série des Boro avec Jean Vautrin) et d’autant de scénarios, Dan Franck profite d’une année «sabbatique» à la Sorbonne («Ils m’ont payé un an supplémentaire au SMIC».) pour écrire son premier roman qu’il adresse d’abord chez Gallimard. «Quinze jours plus tard, n’ayant pas de réponse, je l’envoie chez Stock, puis chez Albin Michel, puis absolument partout. Et je ne reçois que des réponses négatives. Je me souviens même d’un compte rendu de lecture d’Henry Bonnier chez Albin Michel qui disait: «Ce livre est un paquet mal cuit, cet auteur ne sera jamais écrivain.»»
Dan Franck a alors 20 ans et, s’il continue d’écrire, il arrête systématiquement ses textes quelques pages avant la fin. Le découragement cesse le jour où il rencontre le journaliste Pierre Ajame. «C’est lui qui m’a obligé à finir mon manuscrit en cours. Et c’est avec ce texte, qui s’appelait Les calendes grecques que j’ai été édité par Calmann-Lévy et obtenu le Prix du premier roman, en 1980.
Dernier livre paru: Le temps des bohèmes (trilogie regroupant Bohème, Libertad! et Minuit) (Grasset)
Anne-Marie Garat
«J’avais 32 ans quand j’ai envoyé mon premier manuscrit par la poste, mais j’écrivais depuis l’âge de 18 ans», explique Anne-Marie Garat, qui commence par empiler des textes dans ses tiroirs avant d’oser en adresser un à un éditeur. «Ce troisième roman que j’avais écrit me paraissait enfin coïncider avec ce que je voulais faire.»
Anne-Marie a donc rédigé une liste des maisons d’édition qu’elle admirait sans les connaître. Le Seuil et Minuit refusent son roman, mais, chez Flammarion, un éditeur demande à la rencontrer rapidement. Il s’appelle René Hesse. «Il ne disait pas grand-chose, mais il m’adoptait, moi, la provinciale qui ne connaissait personne. J’ai signé le contrat les yeux fermés, trop heureuse.» René Hesse sera son éditeur pour deux autres livres avant d’être remplacé – évincé – par Françoise Verny.
Ce premier roman s’intitulait L’homme de Blaye, paru en 1984. Depuis, Anne-Marie Garat a publié de nombreux ouvrages au Seuil puis chez Actes Sud comme Photos de famille, Dans la main du diable ou L’enfant des ténèbres.
Dernier livre paru: La source (Actes Sud)
Didier Daeninckx
Auteur de plus de cent livres (romans, nouvelles, albums…), Didier Daeninckx a écrit son premier polar en 1978. Il s’intitulait Mort au premier tour. «J’ai fait dix photocopies, je suis allé dans une librairie pour relever les adresses des dix principaux éditeurs de polar et j’ai attendu leur réponse: neuf étaient négatives et le dixième n’a pas répondu.» Découragé, il devient animateur culturel puis journaliste localier. «Quatre ans plus tard, j’ai une réponse de ce dixième éditeur, Le Masque, qui prend mon manuscrit. Ce fut le flop total. Et une seule critique, celle de Michel Lebrun qui disait à peu près cela: l’auteur a un nom trop difficile pour avoir du succès.»
C’est plus tard que Didier Daeninckx a le fin mot de l’histoire pour expliquer ce long silence. Son manuscrit avait été refusé par Albert Pigasse, le patron du Masque en 1978. Mais quand il est remplacé par Michel Guibert, celui-ci va fouiller dans les archives des refusés et en sort Mort au premier tour qu’il décide de publier.
Or, Guibert est à son tour remplacé par Michel Averlant qui, lui, rejette coup sur coup trois fictions policières: Meurtres pour mémoire, Le géant inachevé, Le der des ders. «Alors là, je suis allé voir la Série Noire, qui a pris les trois.»
Dernier livre paru: Caché dans la maison des fous (Editions Bruno Doucey)
Catherine Cusset
«En 1985, quand j’avais 22 ans, j’ai envoyé par la poste à Philippe Sollers un article sur Sade, qu’il a publié dans sa revue L’Infini. Je l’ai rencontré, il a publié d’autres articles de moi sur Laclos, Voltaire, Balzac, et m’a dit : “Si vous écrivez un roman, envoyez le moi.” J’étais universitaire et n’avais aucune intention d’écrire un roman. Mais quand il a été écrit trois ans plus tard à la suite d’un chagrin d’amour, je l’ai envoyé à Sollers.
«C’était pendant l’été. Cinq jours après, j’ai reçu une carte postale de l’île de Ré: “J’adore. Je vais publier.” Jamais aucune carte postale ne m’a donné autant de joie. Sollers a été ensuite si long à me faire signer un contrat que j’ai cru qu’il s’était ravisé: j’ai appris plus tard que mon roman, qui comportait quelques scènes sexuelles crues et qui avait les défauts d’un premier roman autobiographique, avait eu bien du mal à franchir la barrière du comité de lecture chez Gallimard. Il a fini par sortir, en mai de l’année suivante, dans la plus grande discrétion. Il s’intitulait La blouse roumaine. »
Dernier livre paru: Une éducation catholique (Gallimard)